Pour faire face à cette insécurité persistante au Nord Kivu et l’Ituri où sévissent principalement les groupes armés étrangers, le Président de la République Félix Antoine Tshisekedi avait décrété, le 6 mai 2021, l’Etat de siège dans ces deux provinces situé dans la partie Est du pays. Mardi 3 mai dernier, le parlement a prorogé, pour la 23ème fois, cet état de siège, sans que la loi portant modalités de son application ne soit toujours adoptée. Une année après, quel bilan peut-on en faire ?

En effet, les provinces de l’Ituri et le Nord-Kivu sont en proie à une spirale de violences depuis plus de deux décennies, en dépit du fait que depuis 23 ans, le pays accueille la plus grande mission de maintien de la paix de l’ONU. Au regard du baromètre sécuritaire du Kivu, au moins 122 groupes armés sont actifs dans cette partie du pays. Pour faire face à cette persistance crise sécuritaire, beaucoup de mesures ont été envisagées, dans le passé, mais sans en apporter de solution durable. C’est ainsi qu’en 2013, une brigade d’intervention, au sein de la MONUSCO avait été mise en place avec pour mission de neutraliser toutes ces forces négatives. Mais seul le M23 a été défait.

L’opération « Tempête de l’Ituri » pour neutraliser notamment la CODECO reste à ce jour sans succès.

C’est dans ce contexte que l’Etat de siège a été décrété. Mais, l’espoir suscité par la mise en place de cette mesure d’exception pour briser le cycle des massacres s’est beaucoup émoussé. L’ensemble des groupes armés « ont tué plus de 2500 civils en Ituri et au Nord-Kivu » depuis le 6 mai 2021, selon des informations recoupées.

Force et faiblesses

A l’instauration de l’état de siège, plusieurs groupes armés, par peur des représailles des FARDC, avaient cessé leurs activités. Au Nord Kivu, par exemple, seuls les ADF étaient restés actifs, la CODECO en Ituri. Et, au fils du temps, l’état de siège a vite relevé ses insuffisances.

En tout cas, 12 mois après son instauration, l’Ituri et le Nord-Kivu sont loin de recouvrer la paix voulue. Outre la continuation des tueries et massacres des populations, il a engendré d’autres problèmes tout aussi complexes : les déplacements massifs de populations civiles, une crise humanitaire sans précédent, la fermeture des écoles dans certaines régions et parfois la suspension de la circulation sur des axes routiers pourtant vitaux pour l’économie.

Conséquence logique de cette situation, la population a vite donné de la voix pour réclamer la fin de cet état d’urgence. La CENCO, les mouvements citoyens tels la Lucha, Filimbi et autres organisations de la société civile ont appelé ouvertement à la fin de ce régime spécial. Des journées villes mortes et des manifestations contre l’état de siège sont de plus en plus organisées.

A l’assemblée nationale où les élus de cette partie du pays ne votent plus la prorogation de cette mesure, une motion de défiance a même été initiée, par le député Daniel Furaha, élu de Mahagi, contre le ministre de la défense pour « dégradation de la situation sécuritaire dans les provinces placées sous état de siège ».En août 2021, après plusieurs prorogations, la chambre basse a procédé à une évaluation de l’état de siège de plus en plus critiqué par la société civile, certains diplomates et une partie de la classe politique.

Pour apporter certaines réponses aux interrogations qui pèsent sur son efficacité, la commission défense et sécurité, dirigée par le député Bertin Mubonzi, a procédé à l’audition des cinq ministres directement concernés par la gestion de l’état de siège : Gilbert Kabanda Rukemba (Défense nationale et Anciens combattants), Rose Mutombo Kiese (Justice), Jean-Claude Molipe Mandongo (vice-ministre de l’Intérieur), Nicolas Kazadi (Finances) et Aimé Boji Sangara Bamanyirwe (Budget).

Le compte-rendu de ces auditions a été compilé dans un rapport confidentiel rendu le 29 septembre, révèle que l’état de siège avait été proclamé dans des circonstances atypiques, sans plan d’action stratégique et sans montage financier.

Ce document indique que plusieurs semaines plus tard, les forces de sécurité ne sont toujours pas déployées. Les premiers décaissements, quelques 37 millions de dollars, ont été dépensés pour liquider les arriérés de paie des militaires et la moitié a été répartie entre les états-majors, à Kinshasa.Même après le déploiement des responsables militaires, la chaîne de commandement de l’armée a continué à fonctionner « comme à l’ordinaire et cela pose problème vue la situation de l’état de siège », souligne le rapport.

À l’issue de ces auditions, les députés ont, dans leurs avis et considérations, dressé un constat accablant de l’impréparation générale. « La proclamation de l’état de siège n’a pas été sous-tendue par une planification d’actions stratégiques. Elle l’a été sans un montage financier conséquent et cohérent, sans définition d’objectifs militaires et sans un chronogramme d’actions stratégiques », écrivent les membres de la commission sécurité et défense.

« Dans l’ensemble, le bilan de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu est mitigé en ce sens que, depuis son instauration, les tueries, les massacres, les viols, les braquages, les incendies des véhicules… se sont intensifiés dans les zones concernées ».

Les élus ont rappelé au gouvernement ce qu’ils estiment être les faiblesses de ce dispositif : la modicité du salaire et des primes, la situation préoccupante des droits humains et le manque de coordination des ministères concernés. Ils sollicitent donc, en urgence, une restructuration profonde et un renouvellement de la chaîne de commandement militaire et de commandement à tous les niveaux, dans l’Ituri et le Nord-Kivu, ainsi que l’envoi d’une mission à Kinshasa pour enquêter sur la traçabilité des fonds.

Ils exigent enfin « un plan de sortie de crise de l’état de siège ».

Vingt-cinq membres de la commission ont pris part au vote de ce rapport et aucun n’a voté contre.

PM