Martin Fayulu ne désarme pas. Trois mois après la rupture de la coalition entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila, l’opposant, qui n’a cessé, depuis deux ans, de revendiquer sa victoire à l’élection présidentielle de décembre 2018, campe sur ses positions. L’ancien président et son successeur ont beau avoir mis un terme à leur alliance, lui refuse toujours de croire à la rupture.

Selon lui, le “deal maléfique” qui unit les deux hommes serait toujours en vigueur. “Ce qui se passe aujourd’hui est une illusion d’optique. Les personnes qui sont dans l’Union sacrée sont les mêmes que celles qui figuraient dans la coalition entre le Front Commun pour le Congo (FCC, de Joseph Kabila) et le Cap pour le changement (Cach, la précédente plateforme de Tshisekedi). Ce sont des stratagèmes pour se maintenir au pouvoir”, assure-t-il d’emblée.

Dans un paysage politique mouvant, à l’heure où tous les yeux sont braqués sur le nouveau Premier ministre Sama Lukonde Kyenge, dont le gouvernement est attendu dans la semaine, l’ancien candidat a sans surprise fait le choix de maintenir sa stratégie. Quitte à prendre le risque de s’isoler.

Rupture

Car depuis plus de trois mois, la scène politique congolaise est en pleine reconfiguration. Après avoir repris le contrôle des deux chambres du Parlement, Félix Tshisekedi, qui a aussi obtenu le départ du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, dispose désormais d’une nouvelle majorité officiellement établie à 391 députés. Celle-ci est largement composée de transfuges du FCC.

Vent debout contre cette nouvelle alliance, Martin Fayulu a dénoncé à de nombreuses reprises au cours des dernières semaines une “majorité achetée” et qualifié l’Union sacrée de “deuxième grossesse” du duo Tshisekedi-Kabila. “Où est le renouvellement? Christophe Mboso (nouveau président de l’Assemblée nationale) et Bahati Lukwebo (nouveau président du Sénat) sont des kabilistes à 100%”, fustige-t-il.

Pour l’opposant, l’équation est simple : en renvoyant dos à dos l’Union sacrée et la coalition FCC-Cach, Martin Fayulu tente de consolider sa position dans l’opposition où la situation a aussi été bousculée.

Car outre les transfuges du camp Kabila, l’Union sacrée s’appuie également sur deux poids lourds de Lamuka : Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba. Leur ralliement à cette alliance formée autour de Tshisekedi est venu fragiliser un peu plus la plateforme d’opposition qui a porté la candidature de Fayulu en 2018.

Après les retraits, dès 2019, d’Antipas Mbusa Nyamwisi et de Freddy Matungulu, Martin Fayulu, Adolphe Muzito, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba avaient tant bien que mal continué à faire route commune. Mais les nombreuses divergences concernant la stratégie à adopter vis-à-vis de Félix Tshisekedi ont régulièrement exposé les divisions internes de cette coalition tiraillée entre une ligne modérée, incarnée par Moïse Katumbi, suivi de manière plus discrète par Jean-Pierre Bemba et une autre, plus radicale, portée par Martin Fayulu, soutenu d’Adolphe Muzito.

L’ancien gouverneur du Katanga avait dès le début fait le choix d’adopter une position “républicaine” et de reconnaître les institutions. L’ex-candidat, de son côté, n’a eu de cesse de contester leur légitimité. La rupture semblait, à terme, inévitable.

“Manque d’élégance politique”

Interrogé sur le rapprochement de ses compagnons de l’opposition avec Tshisekedi, Martin Fayulu nous a d’abord répondu timidement. “Chacun est libre de ses choix. C’est la nature de la vie humaine, les alliances se font et se défont”, nous a-t-il expliqué. Revenu sur ses propos par la suite, l’opposant dit regretter “le manque d’élégance politique” chez ses deux anciens alliés.

Jusqu’en octobre dernier, peu avant le début de la crise politique amorcée par la prestation de serment des nouveaux juges à la cour constitutionnelle, les quatre opposants semblaient, en apparence, s’inscrire encore dans une trajectoire commune. Un ultime communiqué commun venu acter, le 12 octobre, la passation à la tête de Lamuka entre Adolphe Muzito et Martin Fayulu, évoquait même des pistes de réformes internes à la coalition. En coulisse, les tractations étaient pourtant déjà engagées avec les proches de Tshisekedi.

Quelques jours plus tard, ce dernier annonçait le lancement de consultations censées aboutir à l’Union sacrée qu’il appelait de ses vœux. D’ultimes tractations de l’autre côté du fleuve, à Brazzaville, où Moïse Katumbi et Martin Fayulu se sont successivement ont successivement rencontré le président Denis Sassou-Nguesso n’ont pas permis d’aligner les positions sur cette question. Depuis, les quatre leaders de Lamuka n’ont plus tenu de réunion commune.

Querelle de leadership

Malgré leur soutien à l’Union sacrée, ni Jean-Pierre Bemba, ni Moïse Katumbi n’ont formellement quitté la coalition d’opposition. Celle-ci se trouve aujourd’hui dans une situation bien inconfortable, comme l’illustre un récent échange de communiqués.

Le 26 février, à l’issue d’une réunion du présidium de Lamuka, Martin Fayulu et Adolphe Muzito ont estimé que comme Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi ont “librement adhéré à l’Union sacrée”, la coordination de la plateforme Lamuka serait désormais “assumée de manière alternative par les deux membres restants”.

Deux jours plus tard, un second communiqué, signé cette-fois par quatre membres de la cellule politique de Lamuka, est venu rejeter ces conclusions. “L’action menée par Moise Katumbi et Jean-Pierre Bemba ayant pour objectif de mettre fin à la dictature Kabiliste est conforme aux objectifs de Lamuka”, explique le document. Pour un proche de Moise Katumbi, il est même toujours prévu que la rotation à la tête de la coalition d’opposition se poursuive normalement et que l’ancien gouverneur du Katanga en prenne donc la tête le 10 avril.

S’achemine-t-on dès lors vers une querelle de leadership au sommet de Lamuka ? “Depuis le début nous nous sommes entendus pour dire que le problème était la persistance du système Kabila. Il n’y a donc pas eu de trahison”, estime notre source proche de Katumbi. Dans les rangs fayulistes, on dénonce une volonté de “coincer” l’ancien candidat. “Personne ne l’a jamais empêché de formuler des propositions. Il fait le choix d’évoluer en paria et refuse de voir que les choses ont changé”, rétorque un proche du président Tshisekedi.

Déjà tourné vers 2023 ?

Cet imbroglio peut-il handicaper Martin Fayulu et ce alors que les membres du FCC restés fidèles à Joseph Kabila se réclame désormais aussi de l’opposition ? S’il se refuse à partager l’étiquette d’opposant avec ces derniers, l’ancien candidat entend continuer à occuper le terrain.

Après une première conférence de presse le 11 février dernier, il a présenté le 12 mars, en compagnie d’Adolphe Muzito, une proposition de réforme de la commission électorale nationale indépendante (Ceni) en vue des prochaines élections. Souhaitant “dépolitiser” cet organe au cœur de nombreuses polémiques électorales, les deux opposants ont suggéré que le bureau soit exclusivement confié à des délégués de la société civile et que la présidence soit assurée de manière tournante par les membres des confessions religieuses.

Une proposition similaire existe déjà. Elle a été formulée dès août 2019 par le député d’opposition Christophe Lutundula et déposée à l’Assemblée nationale, sans avoir abouti. Martin Fayulu compte de son côté promouvoir sa proposition hors des institutions dont il conteste la légitimité. Ce qui complique de fait très fortement ses chances d’aboutir.

Malgré l’écrasante majorité dont dispose son adversaire et le peu de succès rencontré jusque-là par la proposition de sortie de crise qu’il a formulée en mai 2019, Martin Fayulu entend pousser cette nouvelle initiative jusqu’au bout, et ce alors que la question de l’organisation des prochaines élections s’est brusquement invitée dans le débat ces derniers jours. “Il faut que l’on s’interroge : dans quel environnement souhaite-t-on organiser ces élections ? Quel bilan Tshisekedi et Kabila vont-ils présenter ? Il est encore temps de trouver une solution satisfaisante pour tout le monde”, assure-t-il.

“Fayulu veut pouvoir arriver en 2023 en disant qu’il est le seul à ne pas avoir changé d’avis en cours de route, estime un membre de Lamuka ayant rejoint l’Union sacrée. Le problème de cette stratégie est qu’il continue de s’isoler alors que les autres avancent.” L’opposant qui assure ne pas avoir renoncé à la perspective, improbable à ce stade, d’élections anticipées, pense-t-il déjà à sa propre candidature ? “Ce ne sera pas à moi de choisir, esquive-t-il, c’est le peuple choisira”.

Avec Jeune Afrique