Dans une interview exclusive accordée à TV5monde, la journaliste belge et spécialiste de l’Afrique Colette Braeckman a répondu à quelques questions sur comment la Belgique envisage des réparations pour la colonisation du Congo après que les dix experts mandatés par une
commission parlementaire spéciale belge aient rendu un rapport jugé accablant sur le passé colonial de la Belgique recommandant des réparations, comme la présentation d’excuses officielles et la restitution d’œuvres volées.

A en croire la journaliste belge et spécialiste de l’Afrique Colette
Braeckman, des excuses peuvent être envisagées, mais les réparations
économiques seront plus difficiles à trancher.

TV5MONDE : Comment la commission spéciale a travaillé pour produire ce
rapport ?

Colette Braeckman, journaliste spécialiste de l’Afrique : Ça n’a pas
été très facile de réunir le groupe d’experts, de trouver des gens de
toutes tendances. Le souci des députés a été de rassembler un spectre
aussi large que possible. Il fallait inclure des représentants de la
diaspora congolaise, rwandaise, burundaise. Il a fallu un certain
temps pour avoir un consensus sur le groupe en question. Lorsqu’ils
ont commencé à travailler, la tâche s’est avérée plus grande et plus
lourde que prévue. Le travail a duré beaucoup plus longtemps. Les
chercheurs devaient travailler deux jours par semaine pendant trois
mois. En réalité, leur travail a presque pris un an. Il a abouti à un
rapport très fourni de 689 pages. Ce sont des regards croisés sur
différents aspects du passé colonial belge.

TV5MONDE : Qu’est-ce qu’il va se passer au niveau parlementaire à présent ?

Colette Braeckman : C’est un rapport d’experts, donc c’est purement
informatif et consultatif. Mais maintenant, les députés vont commencer
à examiner le document dès le 22 novembre, en séance au parlement.
« Les excuses, la définition de ce qu’il s’est passé, les réparations,
et puis surtout la définition d’une nouvelle politique à l’égard des
anciennes colonies. C’est ce dont il sera question au Parlement. »
Ensuite, des conclusions vont être rendues. Est-ce qu’il y aura des
excuses ? À mon avis c’est possible. Par exemple, on reconnaît qu’on a
commis des erreurs. Est-ce que ça ira plus loin et qu’il y aura un
débat ? Dans l’entreprise coloniale, il y a eu des crimes contre
l’humanité, c’est aussi à discuter. Cela risque de susciter une forte
opposition. D’autres vont demander des réparations, comme les
chercheurs originaires de la diaspora.

Les excuses, la définition de ce qu’il s’est passé, les réparations,
et puis surtout la définition d’une nouvelle politique à l’égard des
anciennes colonies. C’est ce dont il sera question au Parlement. Ces
débats pourront durer plusieurs mois. Le rapport est très dense et
controversé. Il y a des positions extrêmement divergentes. C’est aussi
un rapport entre les forces écologistes, socialistes et d’extrême
gauche qui sont en faveur des excuses, contre les socio-chrétiens et
les libéraux qui s’y opposent. Je pense que l’opinion belge dans son
ensemble n’est pas encore prête politiquement à aller trop loin.

TV5MONDE : Quelle forme pourraient prendre les réparations ?

Colette Braeckman : Il y a un premier point qui risque de beaucoup
agiter l’opposition et la diaspora, c’est la restitution des œuvres
d’art qui ont été emmenées en Belgique. Dans le musée de l’Afrique à
Tervuren, il y a environ 85 000 pièces d’art qui ont été amenées
depuis le Congo. C’est énorme. Il est exclu de restituer l’intégralité
de ces œuvres parce qu’on ne saurait pas où les stocker dans de bonnes
conditions. Mais quel est le processus qui pourrait mener à une
restitution de certaines d’entre elles ? Ou un partage ? Le ministre
de la Politique scientifique en charge de cette question Thomas
Dermine doit se rendre à Kinshasa cette semaine pour discuter des
modalités pratiques de restitutions de certaines pièces. Le dialogue
est déjà plus ou moins commencé, mais il va être entériné par la
commission parlementaire. Quant à la prédation économique, elle est
colossale, inestimable. Pendant la période coloniale, la Belgique a
pompé les ressources du Congo, comme toutes les puissances coloniales.
Comme le Congo était riche et que la Belgique était un petit pays,
proportionnellement, c’est beaucoup. Il faut adopter une politique de
coopération qui tienne compte de cette nécessité de réparer.

« Il faut discuter de la manière d’envisager ce passé commun, comment
le transmettre aux nouvelles générations. »
Un autre point, qui était déjà discuté il y a quinze jours lors d’un
séminaire à Kinshasa, c’est comment enseigner l’histoire de la
colonisation à la population belge. Après l’indépendance du Congo, on
a tourné la page, ce sujet a presque été rayé des programmes
scolaires. Et même dans les manuels scolaires, la colonisation
figurait sous forme de propagande. On parlait de l’œuvre civilisatrice
de la Belgique au Congo, de l’ouverture du pays au continent… C’était
très laudatif. Maintenant, on doit réintroduire l’histoire de la
colonisation dans les programmes scolaires et on doit aussi introduire
ce chapitre dans l’histoire congolaise. Il faut discuter de la manière
d’envisager ce passé commun, comment le transmettre aux nouvelles
générations. À mon avis, ce qui va être le plus compliqué au niveau
des parlementaires, c’est de savoir s’il faut présenter des excuses,
de savoir si le roi va y aller et quelles seront les réparations.

TV5MONDE : À ce niveau, la Belgique semble être à contre-courant des
autres anciennes puissances coloniales européennes, comme la France et
le Royaume-Uni. Comment l’expliquer ?
Colette Braeckman : La Belgique a une capacité à la fois de faire
comme tout le monde et d’avoir une politique coloniale, d’être
extrêmement dure et répressive et de reconnaître les choses en face.
La Belgique n’est pas un grand pays, n’est pas une puissance coloniale
comme la France ou l’Angleterre.

« Le peuple belge ne soutenait pas l’entreprise coloniale. C’était
l’affaire du roi et d’une certaine élite politique. »

Il faut savoir que le peuple belge ne soutenait pas l’entreprise
coloniale. C’était l’affaire du roi et d’une certaine élite politique.
La population belge s’en fichait complètement. Il a fallu tout un
travail de propagande et de persuasion pendant l’époque coloniale pour
que la population belge y adhère, mais à contrecœur. Ça explique aussi
pourquoi au moment de l’indépendance, la Belgique a lâché en six mois.
Il n’y avait pas de majorité politique avec la volonté de se battre
pour garder le Congo. Il ne faut pas oublier non plus que dans le cas
du Rwanda, le Belgique a été le premier pays dont le premier ministre
s’est rendu à Kigali pour présenter des excuses au nom du peuple pour
avoir abandonné le Rwanda dans le génocide en 2000. Quand il est
rentré, il a été félicité pratiquement à l’unanimité. Donc en
Belgique, c’est possible de s’excuser. Il y a déjà eu un précédent.

Notons que la commission spéciale sur le passé colonial belge au Congo
a examiné le rapport rendu par les experts qu’elle a mandatés ce lundi
22 novembre à Bruxelles 2021 afin d’envisager les suites officielles..
Il s’agit du point le plus sensible dans l’opinion belge. Composé de
689 pages, le rapport des experts de la Commission spéciale se divise
en trois parties :
La première partie porte sur l’historique de la période coloniale
belge. Elle rappelle les éléments factuels de la période coloniale
belge au Congo. Pendant 80 ans, les Congolais ont vu leur économie
touchée par le colonialisme, ont subi les brutalités coloniales.
Aujourd’hui, cette période laisse encore des séquelles. De nombreuses
archives sont citées : des archives privées, d’autres d’institutions
publiques, de ministère etc.
La deuxième partie se concentre sur la mémoire, les réparations et la
participation. Il s’agit de proposer des pistes pour effectuer un
travail de mémoire et de réconciliation sur cette période. Cette
partie donne aussi des suggestions d’actions qui peuvent faire office
de réparations, comme les restitutions.
La troisième partie porte sur le lien entre le racisme et le
colonialisme. En plus d’analyser le rapport colonial tel qu’il était à
l’époque, le rapport donne un panorama des liens entre le colonialisme
et le racisme structurel. Que ce soit dans l’humour, dans la sphère
privée ou dans les esprits, cette partie illustre les discriminations
racistes qui sévissent encore aujourd’hui.
Enfin, comme le mentionne les experts en conclusion du rapport,
l’objectif est ici de “créer un changement sociétal pour mettre fin au
racisme et à la discrimination”, en passant par un travail
parlementaire.