Wole Soyinka, Leïla Slimani, Achille Mbembe, Souleymane Bachir Diagne, Edwy Plenel, Gauz… Une centaine d’intellectuels, écrivains, journalistes et activistes demandent la libération immédiate de notre confrère, détenu depuis plus de quatre mois en RDC.

« Sans dignité, il n’y a pas de liberté, sans justice, il n’y a pas de dignité, et sans indépendance, il n’y a pas d’hommes libres. »

Cette phrase, que Patrice Lumumba écrivit en prison, dans la dernière lettre qu’il adressait à sa femme, Pauline, en novembre 1960, résonne avec un écho particulier aujourd’hui en République démocratique du Congo.

Depuis quatre mois déjà, le journaliste le plus populaire de ce pays, suivi par plus de 570 000 abonnés sur X, Stanis Bujakera Tshiamala, correspondant de Jeune Afrique et de Reuters ainsi que directeur de publication adjoint d’Actualite.cd, croupit dans une cellule collective de la sinistre prison de Makala, à Kinshasa, à la suite de la publication d’un article par la rédaction de Jeune Afrique, basée à Paris, mettant en cause les renseignements militaires congolais dans l’assassinat d’un ancien ministre devenu opposant, Chérubin Okende.

À l’ONG Reporters sans frontières (RSF), il expliquait que « son emprisonnement était un test pour l’avenir du journalisme indépendant en RDC » et qu’il ne céderait pas face à des « accusations imaginaires ».

Un dossier fabriqué dans la précipitation

Des contre-enquêtes réalisées par RSF et le consortium Congo Hold-Up ont démonté le dossier de l’accusation, confectionné dans la précipitation. Stanis Bujakera Tshiamala a été arrêté le 8 septembre 2023 sur la base d’un simple avis de recherche. Il est accusé d’abord d’avoir diffusé puis fabriqué une note confidentielle de l’Agence nationale de renseignement (ANR) qui a servi de base à l’article de Jeune Afrique.

Le parquet l’a maintenu en détention en raison d’expertises techniques internes à la police qu’il n’a demandées qu’après l’arrestation de Stanis Bujakera Tshiamala. Aucun acte d’enquête supplémentaire n’a été posé. Il n’y a d’autre déposition au dossier que celles de Stanis Bujakera Tshiamala.

Le gouvernement, le parquet et son expert ont assuré que la note confidentielle de l’ANR était un faux sans en apporter la preuve. Le tribunal n’a entendu ni témoin ni expert à propos de cette note et de son contenu jusqu’à présent.

L’ONG Reporters sans frontières, qui a mené l’une des deux contre-enquêtes dans ce dossier, assure que ce document est authentique. De même que l’avocat belge de la famille de Chérubin Okende, qui a porté plainte en Belgique contre le chef des renseignements militaires congolais.

 Une impossibilité technique

Tout en l’accusant d’avoir fabriqué un faux document, le parquet affirme que Stanis Bujakera Tshiamala aurait reçu cette note d’un compte Telegram et en aurait été ensuite le premier diffuseur. L’expert de la police sur lequel s’appuie le parquet avait assuré être parvenu à identifier Stanis Bujakera Tshiamala en analysant les métadonnées d’une photo du document partagé via WhatsApp et Telegram. Sauf que les porte-paroles de ces deux entreprises, contactés dans le cadre d’une enquête menée par Congo Hold-Up en collaboration avec Jeune Afrique, ont été formels : il est techniquement impossible de parvenir à cette conclusion.

Quant à l’adresse IP supposée de Stanis Bujakera Tshiamala lors de ce partage de documents, elle appartient à une société espagnole, Bullhost, qui dit ne l’utiliser que pour un serveur interne… Alors qu’il prétendait avoir accédé à la demande d’une contre-expertise indépendante formulée par la défense, le tribunal a nommé comme « expert agréé » un greffier de la cour d’appel de Kinshasa-Gombe.

Ce dernier a commencé ses « investigations » sans en informer les avocats de Stanis Bujakera Tshiamala et après concertation avec l’accusation, ce qui constitue une nouvelle violation des droits de la défense. En outre, il n’a pas les qualifications requises pour accomplir les tâches qui lui sont confiées. Le parquet lui-même le reconnaît.

Tous ces éléments, parmi les nombreuses irrégularités qui émaillent cette procédure ahurissante, plaident pour une seule et unique chose : la remise en liberté immédiate et sans conditions de Stanis Bujakera Tshiamala.

Le respect de la liberté et de la pluralité de la presse ainsi que des droits des journalistes reste essentiel quand les défis politiques, économiques et sécuritaires de la RDC sont toujours aussi nombreux au lendemain des scrutins du 20 décembre.

Durant sa campagne électorale, en novembre, Félix Tshisekedi avait déclaré qu’il pourrait « peut-être » gracier Stanis après sa condamnation. Alors qu’il s’apprête à débuter un second mandat, nous avons l’espoir qu’il mette fin à cette incarcération sans attendre la fin de cette procédure inique.

Sans justice, il n’y a pas de dignité. Et sans dignité, il n’y a pas de liberté.

Free Stanis. Maintenant.

Avec Jeune Afrique