Après la récente mission de reconnaissance d’une délégation des officiers militaires des pays membres de la Communauté des États de l’Afrique de l’Est en Ituri et au Nord-Kivu en République Démocratique du Congo, annonçant le déploiement imminent d’une Force régionale dans cette partie du pays, les langues se délient, tantôt pour approuver ou récuser cette option. C’est le cas du célèbre Docteur congolais Denis Mukwege qui, dans une déclaration rendue publique ce mercredi 20 juillet 2022, crains que son pays la République Démocratique du Congo puisse retomber encore une fois dans un chaos.

Légitimant la présence de la mission onusienne en RDC et faisant référence à la dernière mise en garde de la représentante spéciale du secrétaire général des Nations Unies en RDC au conseil de sécurité contre un embrasement de la situation dans l’Est du pays, le prix Nobel de la paix qui trouve alarmant cette position de Bintou Keita, pense qu’il serait impérieux, selon la résolution 2612 du conseil de sécurité qui fixe le mandat actuel de la MONUSCO, de laisser les FARDC et la mission onusienne “ de mener des offensives ciblées et énergétiques en vue de neutraliser les groupes armés et d’assurer une protection efficace, rapide, dynamique et intégrée des civils au moyen d’une brigade d’intervention ”.

“ la coordination des efforts des Nations Unies par le Commandant de la force multilatérale composée de nombreux contingents nationaux n’est pas aisée. Alors que les règles d’engagement devraient être claires avant le déploiement des troupes et que les Etats contributeurs devraient déléguer le commandement de leurs éléments à la force onusienne, diverses capitales se réservent un droit de regard voire d’autorisation sur les interventions sur le terrain, minant ainsi à la rapidité des décisions à prendre par le commandement militaire de la Mission, et mettant ainsi à mal l’efficacité de ses initiatives. Néanmoins, nous sommes d’avis que le bras armé de la MONUSCO reste la présence la plus légitime et autorisée pour venir en soutien aux FARDC en vue de stabiliser le pays et protéger les civils. Face à l’activisme des groupés armés nationaux et étrangers, la priorité devrait être de maximiser les potentialités du mandat de la Mission des Nations Unies en RD Congo et d’entamer une profonde réforme du secteur de la sécurité”, peut-on lire dans cette déclaration.

Denis Mukwege estime l’engagement prise, il y a peu, par le Président de la République Félix Antoine Tshisekedi, celui d’une coopération militaire bilatérale avec l’Ouganda, se révèle un échec.

“ L’accord de défense et de sécurité entre la RDC et l’Ouganda a été signé fin 2021 et les opérations conjointes ont été prolongées le 1er juin 2022 pour démanteler les rebelles du groupe Forces démocratiques alliées (ADF). Dans un rapport récent publié par le Groupe d’Etudes sur le Congo avec son partenaire de recherche Ebuteli, il y aurait entre 2000 et 4000 militaires ougandais sur le sol congolais et les résultats de leur intervention sont mitigés. Le nombre de victimes civiles est croissant et le rapport met en lumière qu’outre la traque des ADF, qui est loin d’être achevée, des intérêts économiques, commerciaux et géopolitiques expliquent en grande partie l’intervention de l’armée ougandaise à l’Est du Congo. En outre, à l’instar d’autres analystes, le Groupe d’Etude sur le Congo voit dans cette opération conjointe entre la RDC et l’Ouganda un facteur d’irritation pour le Rwanda ayant déclenché une escalade des tensions rwando-congolaises. Ce contexte explique en grande partie la réactivation de la rébellion du groupe armé M23 par le Rwanda, qui déstabilise à nouveau le Nord Kivu et la sous-région, provoquant une nouvelle catastrophe humanitaire dans une région déjà martyre”, insiste le Dr Denis Mukwege.

Pour l’homme qui répare les femmes, le déploiement d’une force régionale dans cette partie du pays plante déjà le décor d’un chaos, car estime-t-il, “ certains de ces États sont à la base de la déstabilisation, des cycles de violence et du pillage des ressources naturelles de l’Est du Congo”

Une compréhension des choses qui pousse le médecin général de l’hôpital de Panzi de se questionner sur un certain nombre de points relatifs à une éventuelle venue de cette force régionale, à savoir: Quelles seront les règles d’engagement de la nouvelle force régionale ? Quel est son mandat, les objectifs de la mission et sa durée ? Comment harmoniser et coordonner les interventions sur le terrain entre les FARDC et ses partenaires onusiens, ougandais, et de la force régionale ? Qui décidera de quoi? Qui sera responsable politiquement et juridiquement ?

Denis Mukwege qui pense que la diplomatie de Félix Tshisekedi va nous mener objectivement vers une prolongation et une aggravation de l’instabilité, n’a pas manqué d’exprimer son scepticisme d’autant plus que, selon lui, les accords de coopération aux niveaux bilatérale et régional n’ont pas toujours été transparents.

Denis Mukwege invite donc les autorités congolaises et onusiennes à privilégier les interconnexions étroites existant entre la prévention des conflits, la justice transitionnelle, la consolidation de l’état de droit et l’instauration de la paix, tout en appelant à la réforme des FARDC, de service de sécurité et la lutte contre l’impunité, gage de la pacification et la stabilité durable de l’Est de la RDC.

Patrick KITOKO