Une projet de loi controversé visant notamment à verrouiller l’accès à la présidence aux Congolais nés de père et de mère congolais a été déposé au Parlement. Elle pourrait être prochainement débattue mais suscite un important malaise, notamment au sein de la majorité.

Le débat autour du verrouillage du poste de président de la république aux personnes nées de père et de mère congolais pourrait bien faire son chemin jusqu’à l’hémicycle de l’Assemblée nationale à la rentrée.

Initiée par un ancien candidat à la présidentielle de 2018, l’économiste Noël Tshiani, ce projet de loi suscite une importante controverse depuis plusieurs semaines.

La disposition la plus polémique réside dans l’article 24 de la proposition, qui stipule que “pour des raisons de loyauté et de fidélité à la nation congolaise, l’exercice de la fonction de président de la République, de président de l’Assemblée nationale et du Sénat n’est réservé qu’aux seuls congolais nés de père et de mère”. Le projet de loi entend étendre cette disposition à d’autres hautes fonctions comme celle de Premier ministre, de président de la Cour constitutionnelle ou encore aux généraux de l’armée congolaise.

Noël Tshiani n’étant pas député, cette proposition ne pouvait jusque-là pas être déposée au Parlement. C’est chose faite depuis le 8 juillet puisque le député Nsingi Pululu, membre de l’Union sacrée et transfuge du Front Commun pour le Congo de Joseph Kabila, en est devenu le parrain.

Il s’est présenté au Palais du peuple ce jeudi, aux côtés de Noël Tshiani, pour procéder au dépôt du projet de loi et défendre la proposition de l’économiste qui, assure-t-il, est soutenue par plus de “260 députés”. “Face aux réalités vécues, ou que nous vivons actuellement, nous vous disons que la RDC est un pays ouvert à tout le monde mais seulement que pour occuper le poste de Président de la République, il faut être né de père et de mère congolais”

“Ligne rouge”

Si elle suscite un important débat au sein de la société congolaise depuis plusieurs semaines, la proposition de loi pourrait bien créer de nombreux tumultes au sein de la majorité au pouvoir. L’étape du débat autour de ce projet de loi au sein Parlement n’est pas encore à l’ordre du jour – elle doit d’abord être examinée au bureau d’étude puis en commission avant de pouvoir arriver jusqu’à la plénière – mais les réactions dans la sphère politique n’ont pas tardé à émerger.

Cette proposition suscite notamment le courroux du camp de Moïse Katumbi qui y voit une tentative de museler les ambitions présidentielles de l’ancien gouverneur du Katanga, actuellement allié politique de Félix Tshisekedi au sein de l’Union sacrée. Né d’une mère congolaise et d’un père originaire de l’île grecque de Rhodes (alors sous domination italienne) dont la famille a émigré au Katanga dans l’entre deux guerres, Katumbi a lui-même dénonce fin mai un projet qui “vise l’unité du Congo”.
Vent debout contre le projet de loi de Noël Tshiani, les proches du chef du parti Ensemble pour la République y voient une manœuvre du camp présidentiel et n’hésitent pas à agiter la menace d’un retrait de la coalition au pouvoir.

“Une telle proposition n’a jamais été à l’ordre du jour de l’Union sacrée. À l’évidence, c’est une manœuvre de ceux qui veulent garder le pouvoir. Si on annonce à une candidature à une élection deux ans et demi avant et que l’on commence déjà à envisager l’élimination de candidats, c’est un problème”, dénonce Olivier Kamitatu, le directeur de cabinet de Katumbi, faisait référence au second mandat que Félix Tshisekedi a confirmé, dans une interview à Jeune Afrique vouloir briguer.

“La suite pour nous est claire. Est ce que vous allez monter dans la charrette qui vous conduit à la potence ? Quand vous êtes au pied de la guillotine, il est déjà trop tard. Là, nous sommes en train de marcher sur la ligne rouge. La mise à l’ordre du jour de l’Assemblée d’une telle proposition constituerait un point de non retour. Soit cette proposition est retirée soit nous nous retirerons de l’Union sacrée. Il ne s’agit pas uniquement de la position de Moïse Katumbi. Ce dont il s’agit là, c’est de maintenir les acquis qui sont dans la Constitution”, ajoute Olivier Kamitatu.

“Impliquer Tshisekedi est inacceptable”

Ces accusations, le camp du chef de l’État les dénoncent, assurant n’avoir jamais été impliqué dans la conception de ce projet de loi. “Nous n’avons pas été associés. L’initiateur est connu et ce n’est pas le chef de l’État, défend Peter Kazadi cadre de l’Udps et proche du chef de l’État. C’est légitime que le camp de Moïse Katumbi réagisse comme cela, mais nous n’acceptons pas qu’ils associent le président. Il avait tous les moyens de laisser Katumbi en exil à l’extérieur du pays. Il a tout fait pour qu’il revienne, contre la volonté de Kabila. Maintenant que nous sommes en coalition il va l’éliminer comme ça ? Tshisekedi ne fonctionne pas comme ça”, poursuit-il.

Cette proposition fait aussi réagir la communauté internationale. À l’occasion d’une conférence de presse, la nouvelle patronne de la Monusco Bintou Keïta a souligné “la nécessité d’organiser des élections inclusives et apaisées en prenant garde aux conséquences potentiellement dangereuses d’un débat clivant sur la nationalité”.