Un mois avant que le président Tshisekedi ait ordonné la veille de la COP26 – la « suspension » immédiate d’une arnaque forestière à grande échelle, la vice-Première ministre et ministre de l’Environnement Eve Bazaiba faisait tout pour la promouvoir. C’est ce qui ressort du document que Greenpeace Afrique révèle aujourd’hui : un ordre de mission signé le 13 septembre dernier par Mme Bazaiba pour sept membres de son ministère d’accompagner une équipe de Tradelink dans la province de Tshopo. Sur l’itinéraire, sa propre circonscription électorale de Basoko occupe une place de choix.

Rappelons que Tradelink c’est cette obscure société de courtage qui en septembre 2020 a su se faire attribuer en toute illégalité six soi-disant « concessions de conservation » sises sur une forêt grande comme la moitié de la Belgique. Son seul actionnaire connu est un expatrié belge qui a fait carrière dans les mines, le bois, et le pétrole.

« L’octroi de ces concessions, c’était peut-être la plus grande « rétrocession » du territoire congolais aux intérêts belges depuis l’indépendance », déclare Irène Wabiwa Betoko, cheffe de la campagne Greenpeace Afrique pour la forêt du Bassin du Congo. « En apportant son soutien à cette arnaque, la ministre a démontré son mépris de la loi congolaise, de la société civile, ainsi que des engagements de son Président envers les pays donateurs qu’il courtise actuellement ».

Au moment où la ministre Eve Bazaiba signe cet ordre, elle est au courant de l’affaire Tradelink depuis des mois : le 9 juin la société civile a déposé un recours administratif visant l’annulation des contrats. Sa signature intervient trois jours après l’expiration du délai légal pour y répondre.

Les fans de la société étaient pourtant à ce moment fort peu nombreux : l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) avait confirmé l’illégalité de ses concessions en juillet, en août le gouverneur de la Tshuapa appelait à les annuler. Le ministre de l’Aménagement du territoire reconnaissait la « pertinence » de la démarche de la société civile.

Eve Bazaiba n’en avait cure. Le 13 septembre, celle qui « n’a pas de leçon à apprendre de la part d’une quelconque ONG » dépêche un membre de son cabinet, trois chefs de bureau, le coordonnateur national REDD+ et deux agents du ministère pour prêter main-forte à l’un des plus gros deals d’accaparement des terres en RDC. Ou en langue ministérielle : pour la « Facilitation de la négociation et signature des accords de clauses sociales, réalisations des enquêtes socio-économiques et la signature du CLIP de la Société TRADELINK ».

Du consentement libre, informé et préalable (CLIP) Mme Bazaiba fait preuve d’une méconnaissance totale : « préalable » veut dire avant la signature des contrats juteux, non pas après que les « sommes convenues » ont été empochées.

Chose curieuse, un responsable provincial du ministère est affecté à la mission en tant que… « représentant de la société ». Les frais de mission sont, bien entendu, « à charge du concesionnaire ».

Fin octobre, plusieurs jours après l’ordre du président Tshisekedi de suspendre les concessions Tradelink, l’équipe de la ministre n’avait toujours pas plié bagage.

La révélation de l’implication de Mme Bazaiba dans l’affaire Tradelink vient juste au moment où le gouvernement congolais cherche à faire avaler aux bailleurs de fonds la levée du moratoire de 2002 sur l’attribution de nouvelles concessions forestières. A la COP26 la RDC va se présenter comme « pays solution ».

Les bailleurs de fonds doivent le savoir : en matière de signature d’ordres de mission, il y a chez Mme Bazaiba deux poids deux mesures. Quand la mission dont il s’agit est celle d’auditeurs financés par l’Union européenne pour se pencher sur la légalité des titres forestiers, on peut attendre : cette année elle a fait patienter ceux-ci jusqu’à deux mois après l’ambassadeur de l’UE en personne a dû intervenir pour quémander sa signature. Pour ce qui est d’une mission d’appui à l’imposture Tradelink : sa plume est toute prête.

Greenpeace Afrique appelle le chef de l’Etat Félix Tshisekedi d’ordonner une enquête urgente pour établir les responsabilités de tous ceux, y compris la ministre Eve Bazaiba, impliqués dans le complot Tradelink et d’assurer que les sanctions soient appliquées selon la rigueur de la loi.

Greenpeace Afrique réitère sa demande au président Tshisekedi de veiller à l’exécution effective par la ministre Bazaiba de sa décision de suspendre toutes les concessions forestières illégales.

En ces temps où le monde entier se mobilise pour la COP26, le gouvernement de la RDC se doit d’envoyer un signal fort tant aux Congolais qu’à la communauté internationale que les forêts de la RDC sont à l’abri de nouvelles arnaques, en renforçant le décret sur le moratoire sur de nouvelles concessions forestières.