Depuis deux mois la République Démocratique du Congo vit sans gouvernement. Après la démission du premier ministre Sylvestre Ilunga, la présidence de la République a pris des mesures conservatoires, dont le gel des dépenses publiques. Dans ces conditions, seules la rémunération et le fonctionnement des services publics sont payés, avec avis préalable de la présidence de la République.

La mesure passe très mal au sein de l’administration publique, même si certains se félicitent des résultats jusque-là abattus par l’organe supérieur de contrôle.

La procédure de décaissement des fonds publics est devenue très lourde, dénonce un agent de l’administration publique: “Nous assistons à la centralisation du circuit de la dépense publique en violation de la loi relative aux finances publiques”, a-t- elle poursuivi.

Une chose est sûre, pour examiner toutes les demandes de paiement, la présidence a mis en place une commission pour statuer, nous confie un expert du ministère des finances.

Certains inspecteurs des finances font également partie de la commission ad hoc. Cette omniprésence de l’inspection générale des finances est perçue par ses détracteurs comme une violation de la loi.

C’est l’Igf qui bloque tout

Mercredi 7 avril, contre toute attente, l’intersyndicale de l’enseignement primaire, secondaire et technique (Epst) dénonce le retard de deux mois de décaissement des frais de fonctionnement pour les écoles primaires, les services de contrôle et de paie des enseignants (Secope), en faveur de l’administration et de la mutuelle de santé des enseignants. Pour obtenir gain de cause, le groupe de pression a donne un ultimatum de 72 heures au gouvernement pour exécuter le paiement, faute de quoi toutes les écoles fermeront à partir de Lundi 12 avril.

A la base de la situation, le syndicat accuse l’IGF d’outrepasser sa mission. “Il faut reconnaître que l’IGF a outrepassé ses prérogatives dans le secteur de l’EPST. Savez-vous que les écoles publiques ont fait deux mois sans frais de fonctionnement? Pour que la Banque centrale libère les frais, il faut l’autorisation de l’IGF. C’est écrit où?”, s’interroge Jean-Marie Kingombe. Une thèse qui est largement partagée par l’intersyndicale de l’EPST.

Samedi 10 avril, un jour après l’expiration de l’ultimatum du Syndicat, la Banque centrale du congo a annoncé le début de décaissement des frais de fonctionnement des écoles pour le 12 avril, après l’intervention du Président de la République, affirme une source du gouvernement proche du dossier.

Il y a lieu de rappeler qu’un incident similaire s’est également déroulé le 25 mars dernier, le jour du match RDC-Gabon, dans le cadre des éliminatoires de la coupe d’Afrique des nations Cameroun 2021. La rencontre sportive n’a pas été diffusée à la Télévision nationale Congolaise (RTNC) pour non paiement d’une facture de 320.000 euros de l’UAR. Pour l’IGF, cette facture était exorbitant au titre de droit de diffusion d’un match.

Jules Alingete avait par ailleurs qualifié la facture de tentative de détournement des fonds publics. Ce que le Ministre de la Communication et des médias a balayé de la main, tout en évoquant que la dépense était traçable et que 320.000 euros comptaient pour deux matchs.

Le journaliste sportif Kabulo Mwana Kabulo, lors d’une émission à télé 50 avait appelé l’IGF à s’informer davantage avant de crier au voleur.

Ces factures dûment déposées au ministère du budget, sont donc à la direction du contrôle budgétaire, selon certaines indiscrétions.
Malgré la modicité des recettes publiques, “plusieurs dépenses contraignantes demeurent non payées par le trésor public suite à l’opposition de l’IGF”, a révélé un gestionnaire des crédits sous couvert d’anonymat.

Quelle est la place de l’Igf dans le circuit de la dépense?

Conformément au Règlement Général sur la Comptabilité Publique, la procédure d’exécution de la dépense publique s’articule autour de quatre étapes ayant chacune un objet différent: l’engagement, la liquidation et l’ordonnancement constituent la phase administrative. La dernière étape qui est celle de paiement constitue la phase comptable.

Ainsi, six intervenants exécutent directement ces quatre étapes. Il y a d’abord le gestionnaire des crédits (le service), pour l’engagement et la liquidation provisoires. Après l’envoi du dossier au Ministère du budget, la Direction du Contrôle Budgétaire contrôle la régularité de l’engagement et de la liquidation; le Cabinet du Ministre ou son délégué valide les engagements et des liquidations, puis les envoie au Ministère des finances.

“Au niveau du ministère des finances, la Direction du Trésor et de l’Ordonnancement vérifie des éléments de la liquidation ainsi que pour l’ordonnancement et l’édition des Ordres de paiement informatisé (OPI); le Ministre des Finances (Cabinet du Ministre) ou son délégué : pour la validation des ordonnancements; la Banque Centrale du Congo: pour le décaissement des fonds ou le virement bancaire; et le Comptable Public Principal : pour le paiement”, précise le manuel des procédures et du circuit de la dépense publique.

Ainsi, selon certains experts, le contrôle de la régularité de la dépense est effectué au premier degré par les contrôleurs budgétaires. Leurs mise à l’écart constituerait un coup porté sur la lofip, qui prône la responsabilisation des acteurs intervenant dans la chaîne de la dépense publique.

Selon l’article 2 de l’ordonnance du 8 décembre 2009 modifiant et complétant celle du 15 septembre 1987 portant création de l’inspection générale des finances “l’Inspection Générale des Finances (IGF) en tant que service d’audit supérieur du Gouvernement, peut procéder à toute mission de contre-vérification, au second degré de toutes les situations douanières, fiscales ou parafiscales des contribuables ou redevable d’impôts, droits, taxes ou redevances, soit en cas de découverte d’une fraude lors de l’exécution d’une mission de contrôle ou de contre-vérification, soit sur une réquisition des autorités politiques et administratives, soit sur une réquisition des autorités judiciaires, soit par une dénonciation de tiers”.

Le même rôle a été renforcé par les articles 121 et 122 de la loi relative aux finances du 13 Juillet 2011. Mais les différents textes de loi ne donnent pas mandat à l’IGF de donner un avis favorable ou non à tout paiement de la dépense publique.

Du côté des proches du Président Tshisekedi, nombreux sont d’accord pour ce nouveau rôle d’ordonnateur des dépenses publics attribué à l’IGF. Nous sommes dans une période d’exception, affirment-ils. Toutefois, ce nouveau rôle attribué à l’IGF au détriment des services publics habilités n’est émargé d’aucun texte légal.

Ukiabi