L’Inspection générale des finances a épinglé plusieurs personnalités dans la gestion du projet du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo. « Jeune Afrique » a accédé au rapport.

Après l’affaire du Programme des cent jours, le dossier du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo aura-t-il, lui aussi, droit à son procès ?

Augustin Matata Ponyo, Premier ministre lors de l’élaboration de ce projet, a regagné Kinshasa le 9 mai dans l’après-midi. Il a ainsi écourté un séjour en Guinée où son cabinet de conseil, Congo Challenge, est sous contrat avec la présidence.

« 205 millions de dollars détournés »
Le sénateur, qui a quitté le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de Joseph Kabila au début de l’année, est rentré en RDC car le procureur de la Cour de cassation a demandé la levée de son immunité afin qu’il puisse être entendu dans le cadre de la gestion des fonds dévolus à ce projet qui alimente depuis plusieurs années une intense polémique.

Le dossier est revenu sur le devant de la scène à la faveur du rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) publié le 18 novembre 2020. Selon le patron de cette agence rattachée à la présidence, Jules Alingete Key, le Trésor public a débloqué 285 millions de dollars pour le futur parc de Bukanga Lonzo, mais, d’après l’enquête de l’IGF, seuls 80 millions auraient réellement servi au projet, dont 40 millions pour la seule station électrique. Selon l’IGF, près de 205 millions de dollars auraient donc été détournés.

Marché de gré à gré
Ce rapport, que Jeune Afrique s’est procuré, épingle plusieurs personnalités que la mission chargée de l’audit a identifiées comme les responsables de cet échec.

AUGUSTIN MATATA PONYO, L’AUTEUR INTELLECTUEL DE LA DÉBÂCLE

La première d’entre elles est donc le sénateur Augustin Matata Ponyo, présenté par l’IGF comme « l’auteur intellectuel de la débâcle » de Bukanga Lonzo. Il lui est notamment reproché le choix du partenaire sud-africain Africom Commodities, chargé de la réalisation, de l’aménagement et de la gestion de ce projet, qui n’avait, précise le rapport, « que trois ans d’existence au moment de la signature du contrat de gestion ».

Une expérience qui « n’était pas suffisante pour légitimer un tel choix », poursuit l’IGF, qui dénonce aussi la procédure de passation du marché, effectuée de gré à gré, sans autorisation de la Direction générale du contrôle des marchés publics.

L’ancien Premier ministre se voit aussi reprocher d’avoir « initié et payé à la société Desticlox (que l’IGF présente comme une société écran d’Africom) la somme de 510 883 dollars au titre de frais de gestion, et ce, alors que le prestataire identifié pour le projet était Africom.

L’IGF évoque également le détournement de 7,9 millions de dollars pour l’achat d’Ultimate Building Machine, du matériel de construction vendu par la société MIC Industries, qu’Africom n’a pas reconnue parmi ses fournisseurs.

L’IGF dénonce en outre une « négligence coupable » de la part de Matata Ponyo, qui ne « s’est pas assuré [de l’existence] de mécanismes prudentiels de garantie de bonne gestion par le partenaire » – Africom, en l’occurrence –, ce qui, pour l’IGF, a entraîné « l’opacité dans la gestion » du projet et la « surfacturation de biens et services ». Africom était en effet la seule à déterminer les besoins en investissements, à passer les commandes et à fixer les prix.

LA MISSION DE CONTRÔLE ÉVOQUE UNE « ABSTENTION COUPABLE »

La mission de contrôle évoque enfin une « abstention coupable pour n’avoir pas mis en place des mécanismes [destinés à] garantir la surveillance dans l’utilisation des fonds décaissés par le Trésor ».

Plusieurs députés et une sénatrice

Dans sa réponse à l’IGF, Matata Ponyo estime que la primature et le chef du gouvernement n’étaient pas impliqués dans la gestion des fonds de ce projet et que seule l’entreprise Africom était responsable de l’exécution technique et financière sur la base du contrat qu’elle avait signé avec quatre membres du gouvernement de l’époque : les ministres de l’Agriculture, du Portefeuille, de l’Industrie et des Finances.

L’IGF livre une interprétation différente, estimant que Matata Ponyo est intervenu tout au long du cycle de vie du projet, son bureau étant « le centre d’engagement de toutes les dépenses ». L’ancien Premier ministre assure pour sa part que la gestion des fonds se faisait au niveau du ministère des Finances.

IDA KAMONJI NASERWA,« MENACÉE »

La seconde personnalité indexée par l’IGF faisait d’ailleurs partie de ce bureau puisqu’il s’agit de l’actuel sénatrice Ida Kamonji Naserwa, à l’époque conseillère de Matata Ponyo et directrice générale de Parcagri, société d’aménagement et de gestion du parc créée dans le cadre du projet.

La parlementaire, qui est aussi visée par une demande de levée d’immunité, a assuré à l’IGF qu’en sa qualité de conseillère à la primature, « elle n’avait pas le pouvoir d’influer sur les décisions en rapport avec le projet ». Elle a également souligné que lorsqu’elle avait déclaré que la gestion du parc lui échappait, Matata Ponyo l’aurait menacée de lui retirer la gestion de Parcagri.

« Abstention coupable »


Le document lui reproche toutefois une « abstention coupable pour n’avoir pas formellement dénoncé la gestion chaotique du projet, au besoin, ou même démissionné de son poste de directrice de Parcagri ».

AFRICOM EST ACCUSÉ DE SURFACTURATION ET D’ABUS DE CONFIANCE

La députée nationale Louise Munga Mesozi, ministre du Portefeuille honoraire, est également citée, tout comme Matondo Mbungu, directeur général du bureau de coordination chargé de l’électrification du parc, la société AEE Power et Patrice Kitebi, ancien ministre délégué chargé des Finances auprès du Premier ministre Matata Ponyo. Selon l’IGF, plus de 40 millions de dollars ont été décaissés en faveur de AEE Power alors que le montant du contrat était de 37 millions de dollars.

Africom, via son administrateur Christo Grobler, est donc accusé de surfacturation, d’abus de confiance et d’abstention coupable pour n’avoir pas mis en place les services à même de garantir la bonne gestion des fonds, et Desticlox est soupçonné de servir de société écran à Africom.

Enfin, deux comptables sont aussi visés, Mbienga Kayengi et l’actuel député Lumbu Kiala.

L’IGF souligne en conclusion que plusieurs types de matériel ont été pillés sur le site, notamment plus de trente tracteurs, plusieurs groupes électrogènes ou même plus de dix jeeps. La mission indique que parmi les lieux de destination de ces biens pillés, figurent notamment la ferme de Vital Kamerhe et celle, voisine, de Patrice Kibeti.

MATATA PONYO A DÉNONCÉ UN RAPPORT « TRUFFÉ DE MENSONGES »

De retour à Kinshasa, Matata Ponyo a dénoncé un rapport « truffé de mensonges » qui ne repose sur aucun fondement juridique. Selon une enquête de police dont les conclusions ont été rendues le 25 février 2021 au ministère public près la Cour de Cassation et que « Jeune Afrique » a pu consulter : « Aucun paiement destiné aux activités du parc n’est passé par la primature, tout se faisant directement à Africom, soit par le guichet, soit par virement ou transfert bancaires. »

Ce rapport de police dit également n’avoir trouvé « aucun indice d’une quelconque rétrocession de paiement d’Africom au profit de la primature »

La rédaction